Assainissement des zones "Denise - Danièle et Colette" suite
  c'est cette mission que nous étions chargée de faire
Sommaire :
 
L'accident de Meknes
 
   

Je n'ai pas de photo de Meknès (installation classée), elle se trouvait à proximité d'un des premiers bunkers de tir qui dataient de 1966 (photo ci-contre)

On peut trouver des indications sur le devenir de cette installation dans le livre de Bernard Dumortier : Mururoa & Fangataufa les atolls de l'atome

 

 

Remarques :

  • je connais bien cette installation puisqu'elle se trouvait sur "Denise" ;
  • j'en ai réalisé l'étude d'assainissement (ventilation, locaux annexes).

Dans le rapport officiel du Sénat, on peut lire : "Plusieurs accidents ont été signalés dont l'un des plus graves est celui du 5 juillet 1979 lors de l'explosion de la cuve Meknes (1) sur l'atoll de Mururoa."

Cet incident me touche à plusieurs titres, puisque nous avons perdu un de nos camarades de STMI et retrouvé l'autre grièvement blessé. Dans le document des plaintes, on peut lire : "La cuve MEKNES située dans la zone Denise de Mururoa était utilisée pour la réalisation de "tirs froids" avec matière nucléaire sans réaction nucléaire.
Pour procéder à la décontamination de la cuve et notamment pour lessiver le plutonium sur les murs, il fallait, être revêtu de combinaison vinyle et de masque, (schadock) utiliser des solvants extrêmement inflammables. C'est dans ces conditions qu'un violent incident s'est déclaré suivi d'une explosion.
René V. (CEA) qui n'a pu s'extraire immédiatement de la cuve a été tué, un autre agent Gérard F. (STMI) a été gravement blessé. Il est décédé quelques jours plus tard après son transfert en Métropole. Deux autres opérateurs ont été gravement blessés Jean-Luc L. (STMI) et ... (CEA) . Des victimes provenant de divers centres du Commissariat à l'Energie Atomique et de STMI.
Selon un témoin après l'explosion " il y avait de la poussière partout" (cité par Bruno Barrillot, l'héritage de la bombe page 58). Aucune indication n'a été donnée sur ce qu'est devenu le matériel qui devait être sorti du caisson et se trouvait devant la porte pour être enterré(2).
Il a été projeté au moment de l'explosion et a dû contaminer une zone indéterminée.
Un avion qui avait survolé la zone a du être décontaminé à son arrivée à tahiti."

Cet incident a été difficile à vivre dans l'entreprise, quand on connait les tenants et aboutissants. En ce qui concerne la mort de Gérard F., c'est une malchance incroyable. Le travail à Mururoa est difficile pour la santé et le moral des "troupes", cette mission de 1979, n'était pas la première et ne serait pas la dernière. Notre camarade Gérard F. n'aurait jamais du se trouver là, puisqu'il devait pour raison médicale être rapatrié en France la semaine précédente. Mais il faut comprendre que les salaires d'un décontamineur expatrié sont très important, alors il est difficile de se résigner à partir. Comme son problème n'était pas très grave, (il ne pouvait plus entrer en scaphandre), le chef de mission de l'époque Patrick C. lui confia une tâche "froide", il était chargé de la surveillance à l'entrée du sas. Sas en semi-dur : l'entrée de Meknès se faisant par le haut. Il n'était donc pas concerné directement par l'accident de la cuve. Il a été écrasé entre les cloisons du sas. Il faut dire que l'explosion des vapeurs de solvant a été particulièrement violente et un sas, par définition, se doit d'être étanche. Quant à mon ami Jean-Luc L. (nous avions travaillé ensemble sur plusieurs chantiers) il doit sa vie à la parfaite maitrise de son métier et à sa connaissance, quasi instinctive, des lieux où il se trouvait. Première chance, il n'est pas mis KO par l'explosion, il reste conscient, et l'incendie qui suit met le feu à son "Shadock" qui commence à fondre sur lui. Deuxième chance, il connait les lieux par coeur, vieux réflexe d'un très bon ouvrier en milieu hostile. D'instinct et complètement aveugle, il retrouve l'échelle qui lui permet de remonter vers la sortie, alors que l'incendie fait rage. En arrivant presqu'à la porte, une deuxième explosion (celle qui écrasera Gérard) le projette dehors, loin des flammes. On le retrouvera évanoui en bas des escaliers. Jean-Luc est dans un triste état, mais il s'en sortira vivant après presqu'une année de soin, dont les premiers mois entre la vie et la mort (à l'hôpital Percy de Clamart). Il n'a plus jamais travaillé en zone car il avait absorbé pas mal de plutonium.

 

(1) En fait, la cuve n'a pas explosé, mais une concentration trop importante de vapeur de solvant, à l'intérieur de la cuve, a explosé au démarrage d'une perceuse. Les solvants sont présents sur un chantier d'assainissement, ils nous servent à décontaminer certaines parties des installations, et ils sont également présents dans les matériaux servants à envelopper d'autres constituants du matériel. Depuis cet incident, l'utilisation de colle à base de solvant a été interdite dans les endroits confinés et remplacée par des matériaux à base d'eau.
(2) Cette remarque n'est pas tout à fait exacte : les éléments internes, après l'accident, sont restés à l'intérieur de la cuve servant de sarcophage. Toutes les entrées et sorties potentielles, telles que ventilation, instrumentation et sas ont été condamnés. Tous les éléments extérieurs ont été démontés, conditionnés, et mis en fûts bétonnés, selon les normes françaises et internationnales en vigueur. Ces déchets ont suivi la même voie que tous ceux produits pendant ma mission de 1982.
 
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La visite d'Haroun Tazieff
 
   
 

Pendant que nous travaillons sur "Denise", Haroun Tazieff est venu peu de temps après notre installation. Il a vu le déploiement de nos moyens pour le chantier. Il n'est pas entré en zone controlée, mais a posé beaucoup de questions.

Extrait des rapports du Sénat concernant la visite d'Haroun Tazieff à Mururoa.

Le rapport Tazieff - Juin 1982
Le groupe de scientifiques qui accompagnait M. Haroun Tazieff avait estimé en 1982 que "les explosions aériennes ont introduit dans l'atmosphère, l'océan et tous les organismes vivants, en particulier marins, une radioactivité significative mais non préoccupante au point de vue sanitaire" et que "depuis que les explosions sont souterraines, la contamination radioactive de l'environnement est devenue quasiment nulle à court terme".

Le rapport Tazieff constatait néanmoins que "le confinement des déchets radioactifs dans le sous-sol pour des périodes très longues, atteignant des milliers d'années, pose des problèmes qui ne sont pas résolus [...] d'où l'intérêt qu'il y aurait à vérifier en permanence l'absence dans les eaux souterraines et dans la mer de Krypton 85 et de tritium dont les périodes radioactives dépassent de peu dix années ainsi que des divers isotopes du plutonium".

L'optimisme du rapport Tazieff doit cependant être tempéré, les contributions des experts annexées à ce document montrent bien que ceux-ci considéraient qu'un séjour de trois jours sur place était beaucoup trop court et que dès lors, leur mission n'avait eu qu'un caractère exploratoire, les résultats de leurs mesures ne devant servir "qu'à définir le programme de la mission de longue durée qui doit faire suite à cette mission exploratoire".

Malheureusement, cette recommandation n'a pas été suivie d'effet et il n'y a jamais eu de mission complémentaire de longue durée.

 

On ne peut pas accusé Haroun Tazieff de collaboration, lorsqu'il a pris des responsabilités dans le Ministère de l'Environnement en 1985, il déclara à l'Assemblée Nationale :

Extrait des minutes de l'Assemblée Nationale
En juin 1982, M. Haroun Tazieff, alors Commissaire à l'étude et à la prévention des risques naturels majeurs, effectue une mission scientifique au CEP orientée naturellement à ce moment sur les essais souterrains. En octobre de la même année, il précise dans une interview : « En 1975, j'étais déjà allé à Mururoa pour donner mon opinion de volcanologue (le soubassement de l'atoll étant un volcan éteint). Notre conclusion avait été que, si l'on faisait des essais à profondeur suffisante, il n'y avait, d'après nous, aucun danger de pollution. Or, j'étais un expert appartenant à l'opposition aux essais. J'étais un adversaire ! Mais l'honnêteté scientifique est de dire ce que l'on a constaté, pas ce que l'on voudrait ».

Une commission d'enquête a été nommée, avec Paul Quilès à sa tête. Vous pouvez lire le rapport complet à cette adresse

 
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Les loisirs à Mururoa
 
     
La base vie
Sunset depuis ma chambre
Les fêtes du 15 août
La base vie
Sunset
Les danseurs
Polynésie française
Des liens :
   
Les chantiers : Denise & Danièle
 
   

Comme indiqué dans la page précédente, les tirs aériens avaient laissé sur l'atoll beaucoup de déchets labiles, surtout sur les zones Denise, Danièle et Colette. Pour installer notre chantier, nous avons procédé à une inspection très poussé de la zone après "Meknes" et nous avons balisé l'ensemble après nous être assuré de la propeté des lieux. Le CEA installa alors, sur le radier et sous la protection du mur en béton, 3 remorques mobiles afin de nous acueillir dans les meilleurs conditions.

Il y avait, pratiquement en face de Meknes, le long de la digue, un premier bâtiment qui me servait de bureau et d'infirmerie (nous disposions en permanence d'un infirmier sur place). Un deuxième bâtiment pour les instruments de mesure et une petite réserve de consommable ainsi qu'un parking pour les véhicules nous permettant d'aller et venir entre la base vie et le chantier (camion et méhari). Enfin un troisième bâtiment équipé de douche, servait de sas "froid-chaud" et de bureau du technicien de radioprotection. Ce bâtiment était installé à la limite de la zone controlée, des installations extérieurs (en zone) permettaient le déshabillage des décontamineurs et de tous ceux qui entraient sur le chantier.

   
  à suivre