FINISTERE
Progrès-Courrier - Samedi 23 juin 2001

Tchernobyl : un Pompéi des temps modernes

 
La fête foraine battait son plein dans cette ville de 40 000 habitants de l'Ukraine, à quelques kilomètres de là, quand une nuée ardente s'éleva de l'une des quatre centrales nucléaires. C'était le 26 avril 1986.

 

Philippe Hillion ingénieur au Commissariat à l'Énergie Atomique, a travaillé à Saclay et à la COGEMA. Avant de partir en préretraite, il a effectué pendant 7 mois une expertise à Tchernobyl, en Ukraine, où a eu lieu en 1986 la plus grande catastrophe qui ait atteint une centrale nucléaire. Il a été là-bas au titre d'une mission envoyée et financée par le G7 (le groupe des 7 nations les plus riches du monde), il était demandé aux spécialistes de la COGEMA d'assister les ingénieurs ukrainiens qui s'occupaient plus spécialement de la mise en sécurité de ce que l'on appelle le sarcophage, cette carapace de béton qui a été jetée à la va-vite sur le lieu de l'explosion.

La centrale nucléaire qui a explosé à Tchernobyl faisait partie d'un ensemble de quatre centrales du même type. Les trois autres ont dû fermer à cause de plusieurs incidents qui s'y étaient déclarés en 91, 93 et 2000. L'ex-URSS a décidé depuis lors d'arrêter les autres exemplaires qu'elle a sur son territoire. Il ne reste plus en fonctionnement que celles de Saint-Petersbourg et de Smolensk. Ce sont des bâtiments d'une soixantaine de mètres de côté. Une dalle en béton d'un millier de tonnes y supporte les éléments du combustible et les barres de régulation qui les accompagnent. Il n'y a que deux circuits au lieu de 3 comme dans les PWR franco-américains et le réacteur n'est pas situé dans une enceinte bétonnée au cas où il y aurait une "excursion" nucléaire. Le toit est donc celui d'une usine banale. On peut dire que l'instalIation est à l'air libre. Aux dires des spécialistes, on peut parler d'erreurs humaines et même de " bêtise ". Le réacteur était à l'arrêt et les conducteurs ont violé les consignes en ne respectant pas les procédures habituelles en usage. Ils ont notamment supprimé deux protections automatiques, isolé le circuit de refroidissement et bloqué le système d'arrêt d'urgence. On ne saura pas évidemment qui a donné ces ordres de redémarrage. La dalle de béton est retombée pile au même endroit après avoir été projeté en l'air. La température est montée à 1 900 degrés. Sur les 200 tonnes d'uranium enrichi, 60 tonnes se sont volatilisées. Il est resté 140 tonnes d'un magma semi?liquide. Un nuage est sorti de là et s'en est allé dans la haute atmosphère faisant le tour de la planète en 6 jours. On en a même repéré dans l'hémisphère sud prouvant ainsi d'une manière expérimentale qu'il y a des interactions entre le nord et le sud. Poussé par le vent, le nuage a brûlé au passage par son rayonnement toute une forêt qui se trouvait par là. Elle n'a pas repoussé depuis. Officiellement il y a eu une trentaine de morts parmi le personnel de la centrale.

On peut penser qu'il y en a eu bien plus dans l'extraordinnaireeffort de solidarité qui s'est développé pour éteindre ce feu nucléaire. On parle de plusieurs centaines de milliers de volontaires. L'on voit sur les photos prises des spécialistes sans équipements travailler à mains nues à proximité du sinistre. Pas la peine d'être grand clerc pour savoir que personne ne résiste à un tel degré d'irradiation. Et ces héros sont morts depuis longtemps. Dans son malheur, la centrale de Tchernobyl a eu de la chance. En dessous du réacteur, il y avait plusieurs niveaux. Ils se sont effondrés contenant l'uranium enrichi en fusion. Il y avait là aussi des gaines de sable qui se sont vidées au même moment. Ce mélange de sable et d'uranium a produit une vitrification qui a permis de contenir encore plus cette matière fissile. Enfin, là cloison qui séparait le réacteur n° 4 du réacteur n° 3 n'a pas cédé. Elle est restée intacte. On imagine ce qui aurait pu arriver si la réaction s'était propagée aux installations voisines avec leurs combustibles. Au bout de deux jours, les autorités ont décidé d'évacuer la ville toute proche de 40 000 habitants. Certains habitants ont été malades pendant plus de six mois. On leur avait dit que "c'était un transformateur qui avait explosé". Une zone de 30 km autour de la centrale a été évacuée. Une ville nouvelle a été construite à la limite de la zone interdite : Slavutich, une agglomération de 22 000 habitants où ont séjourné les techniciens du G 7. Tous les jours, ils empruntaient la grand route nettoyée à coup de jets d'eau pour se rendre à la centrale où ne travaillent plus que 300 personnes environ. Celle?ci est enveloppée d'un "sarcophage". L'on s'imagine mal le courage qu'il a fallu aux survivants de la catastrophe de s'attaquer au premier feu nucléaire de l'histoire humaine. Pendant que rougeoyait l'uranium, point de repère des hélicoptères qui tournaient autour, des hommes de l'art ont bâti ou rebâti des murs sur lesquels ils ont posé d'énormes poutrelles métalliques de 4 mètres de haut. Elles ont servi de points d'appui à d'autres poutres en béton armé préfabriquées qui furent ensuite recouvertes de béton et d'acier dans un

gigantesque ballet d'hélicoptères. On a laissé sur les côtés de nombreuses alvéoles. A l'intérieur, le magma est arrosé régulièrement par des jets d'eau, et des appareils de mesure prennent en permanence le pouls de l'ensemble. L'un des risques qui subsistent serait qu'un incendie se déclare à nouveau. Au bout d'une décennie et demi, le dit sarcophage a "travaillé". Des poutres se sont écartées et il faudra sans doute le rebâtir. On ne peut pas refaire une autre enveloppe de béton par dessus l'autre. Le sol compris entre deux rivières ne tiendrait pas le choc. Il faut envisager à terme de faire passer sous la couche actuelle de béton des plaques d'acier inoxydable et de refaire l'enveloppe béton au fur et à mesure. Ce n'est pas une mince affaire. Il y a cinq projets en préparation. Les Ukrainiens sont désormais indépendants depuis l'implosion de l'URSS. Ce n'est pas sûr qu'ils aient les crédits nécessaires. Et puis, il n'y a pas comme ici une culture de se protéger contre le risque nucléaire. On ne sait pas, par exemple, ce qu'est devenu le matériel (camions, hélicoptères, etc.) qui a servi à faire le sarcophage. Il y a de grande chance que tous ces engins contaminés sont retournés à d'autres chantiers ou éparpillés en pièces détachées. Au titre de la coopération, la France (et d'autres nations) financent les installations de stockage de déchets radioactifs en attendant leur retraitement à Tchernobyl même. Les Ukrainiens s'adaptent à leur nouvelle situation d'après l'URSS. Ils n'ont pas eu le temps de modifier les structures agricoles de leur pays qui vit encore sous le régime des kolkhozes. Ils rebâtissent les églises orthodoxes et autorisent les personnes âgées à retourner dans la zone interdite des 30 km revoir leur logis d'avant. L'on valorise les sites touristiques. Les habitants sont sympathiques et accueillants et désireux de connaître une vie heureuse bien loin de ces électrons envolés.

(Ces notes sont extraites d'une conférence de Philippe Hillion, devant le Rotary Club de Quimper, présidé par Bernard Jardin).

P.F.