L'EUROPE ET L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE CIVILE
par Georges VENDRYES
Directeur honoraire des Applications Industrielles au Commissariat à
l'Energie Atomique, Prix Enrico Fermi du Gouvernement américain,
Prix du Japon
Extraits de la conférence donnée par G. Vendryes le 29 janvier
2002 au Centre A. Malraux de Rocquencourt, à l'initiative du Mouvement
Européen des Yvelines et avec le concours des Groupes régionaux
Essonne, Hauts-de-Seine et Yvelines/Val d'Oise de la SFEN.
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Vers une politique européenne de l'énergie | L'énergie nucléaire est propre |
Le problème de la dépendance énergétique | |
Environnement : attention | |
Qu'attendre de l'énergie nucléaire ? | Utiliser toutes les énergies disponibles |
L'énergie nucléaire est économique | |
La stabilité du coût du kilowattheure nucléaire | |
L'énergie nucléaire est sûre | |
Un bilan largement positif | |
Radioactivité : il faut raison garder |
Production d'électricité
en Europe en 2000
Vers une politique européenne de l'énergie
Le problème de la dépendance énergétique
L'Europe dépend de plus en plus de l'extérieur pour satisfaire ses besoins en énergie. Une figure vous montre d'abord le cas de la France. Notre indépendance énergétique est passée par un point bas d'environ 20% au milieu des années 70, au moment même où la première crise du pétrole rendait les conséquences de cette situation particulièrement graves pour notre économie. Depuis lors la mise en place progressive du programme nucléaire a permis de la redresser, au moins jusqu'à un certain point. Bon an mal an notre indépendance énergétique se maintient pour le moment à environ 50%. Si nous n'avions pas de nucléaire, elle aurait continué à décroître selon la courbe présentée par comparaison, qui décrit d'ailleurs à peu près le cas réel de l'Italie.
Le taux d'indépendance énergétique de la France
Le problème ne se pose plus seulement pour les pays européens les moins bien dotés en ressources par la nature, mais pour l'Europe toute entière. La Grande-Bretagne est aujourd'hui le seul pays des Quinze à être un exportateur net de produits énergétiques, mais elle deviendra importatrice dans un avenir peu éloigné. Près de la moitié du pétrole que consomme actuellement l'Europe vient du Moyen-Orient, une région du globe qui n'offre malheureusement pas les meilleures garanties de tranquillité et de stabilité. La dépendance croissante de l'Europe comporte des risques qui vont en s'aggravant pour la sécurité de ses approvisionnements, la compétitivité de ses entreprises, et en définitive l'emploi et le niveau de vie, qui sont au coeur de ses préoccupations. Comme la menace affecte l'ensemble de l'Union, elle appelle une réaction globale, selon des mesures concertées.
Une autre préoccupation commune grandissante concerne les effets de la production d'énergie sur l'environnement. Il y a une prise de conscience générale que les équilibres sur lesquels repose le fonctionnement de la biosphère de notre petite planète sont fragiles, que l'espèce humaine dispose de moyens susceptibles de compromettre son propre cadre de vie et qu'elle doit veiller à ne pas accomplir d'actions dont l'effet nocif pourrait se révéler irréversible.
J'ouvre ici une parenthèse au sujet des émissions des gaz à effet de serre sur le climat de la planète.
La plupart des gouvernements européens estiment qu'il y a là une menace potentielle à prendre très au sérieux, et que des mesures globales s'imposent pour tenter d'y parer. Les solutions à trouver n'ont de sens que si elles sont définies et mises en oeuvre au niveau mondial. Pour y parvenir, il importe que les pays européens parlent d'une seule voix et agissent de même.
Dans le même esprit, les précautions à prendre, les normes à respecter pour garantir au mieux la sûreté des installations industrielles et la protection de la santé publique doivent se traiter de plus en plus sur un plan international, ne serait-ce que pour éviter des différences entre pays que l'opinion publique à juste titre ne pourrait comprendre.
Qu'attendre de l'énergie nucléaire ?
A ce stade, je voudrais attirer l'attention sur un certain nombre d'aspects de l'énergie nucléaire. Je n'hésite pas à proclamer hautement qu'il s'agit là d'une source d'énergie économique, sûre et propre
L'énergie nucléaire est économique
En matière économique, le cas de la France est exemplaire. Que le nucléaire constitue la manière la plus économique d'y produire de l'électricité en régime de base est un fait acquis depuis des années, en incluant dans le prix de revient toutes les externalités telles que les provisions pour le stockage ultime des déchets ou le démantèlement ultérieur des centrales.
C'est ce que montrent toutes les études qui sont effectuées à intervalles réguliers par les représentants des différents secteurs énergétiques sous l'égide du Ministère de l'Industrie, la plus récente ayant eu lieu en 1997. Signalons également qu'un rapport établi en 2000 à la demande du gouvernement par Messieurs Charpin, Dessus et Pellat pour comparer divers scénarios de production d'électricité en France jusqu'en 2050, a fait clairement ressortir l'avantage économique du recours au nucléaire.
Une excellente preuve de la compétitivité de l'électricité d'origine nucléaire est fournie par l'importance des exportations d'EDF à tous nos voisins européens, qui ne sont limitées que par les capacités de transport existantes. Elles procurent bon an mal an à notre balance commerciale un excédent de l'ordre de 2 milliards d'euros.
Mais l'économie de l'énergie nucléaire est loin d'être
une exception française. On la constate également dans bien d'autres
pays, même s'ils ont adopté une démarche différente.
Il est particulièrement intéressant de noter qu'aux Etats-Unis
l'électricité d'origine nucléaire est devenue au cours
des dernières années moins chère que celle des centrales
thermiques brûlant du gaz ou même du charbon.
Il convient de nuancer les conclusions que l'on tire de telles comparaisons,
car la structure des coûts est trés variable selon les cas (voir
figure).
Coût de production de l'électricité
La stabilité du coût du kilowattheure nucléaire
La part des investissements initiaux est très élevée dans le cas du nucléaire, comme d'ailleurs dans celui des énergies renouvelables. C'est incontestablement un handicap. A l'inverse l'installation de turbines à gaz, dont la construction peut se faire vite et à moindres frais, permet un retour rapide de l'argent immobilisé. C'est un avantage parfois décisif, surtout quand la tendance est d'accorder la préférence au court terme. C'est le cas actuellement, où l'on assiste à une véritable ruée sur les turbines à gaz.
Par contre le coût du kWh produit à partir des combustibles fossiles dépend très fortement du prix de ces derniers. Il est sujet à de grandes variations lorsque ces prix fluctuent sur le marché mondial. A l'inverse, le prix de l'uranium naturel, dont il existe des stocks abondants dans le monde, ne représente que le quart du poste combustible dans le montant du kWh nucléaire et n'intervient que pour 6% environ dans le total. Le coût du kWh nucléaire est ainsi à l'abri de variations, elles-mêmes peu probables, du cours de son combustible et il offre une grande garantie de stabilité.
La structure du coût du kWh d'une centrale nucléaire montre aussi que la majorité des sommes qu'a nécessitées sa production peuvent être dépensées dans le pays même où elle est installée (près de 95% en France), ce qui constitue un avantage important pour son économie et favorise l'emploi. Si la France n'avait pas son programme d'électricité nucléaire, elle devrait à sa place consentir des importations supplémentaires de charbon, de fioul ou de gaz, dont le montant à régler en devises étrangères dépasserait chaque année dix milliards de dollars.
Quand on parle de la sûreté des centrales nucléaires, Chernobyl vient aussitôt à l'esprit. Ce fut incontestabement une catastrophe. Loin de moi l'intention d'en minimiser si peu que ce soit les conséquences particulièrement douloureuses. Mais il ne faut pas en rajouter à plaisir. Pour avoir une connaissance correcte des effets réels constatés, il convient de se référer aux conclusions des multiples enquêtes qui ont été menées à ce sujet dans un cadre international totalement impartial, et se méfier de nombreuses affirmations infondées comme il en abonde.
Malheureusement les multiples activités de l'industrie humaine n'ont cessé de provoquer des désastres analogues sinon pires. La destruction accidentelle de l'usine chimique de Bhopal en Inde, contemporaine de Chernobyl, a causé un beaucoup plus grand nombre de victimes. Dans le seul domaine énergétique, qu'on pense aux ruptures de grands barrages, aux catastrophes dans des mines de charbon, etc*. Même si cette comptabilité est pénible, on est amené à établir des comparaisons. Toutes celles qui ont été faites montrent que l'énergie nucléaire, à équivalence de production d'électricité sur une longue période, a été moins meurtrière que l'hydraulique, le charbon ou le gaz.
La durée cumulée de fonctionnement des centrales nucléaires
du monde dépasse maintenant 10000 années, ce qui autorise un jugement
global. Au cours du premier demi-siècle d'exploitation de l'énergie
nucléaire, il y a certes eu plusieurs accidents sérieux sur des
centrales nucléaires, dus pour la plupart à la nouveauté
des techniques mises en oeuvre, mais sans qu'aucun d'eux ait provoqué
de victimes, à l'exception bien sûr de Chernobyl. Le bilan d'ensemble
est largement positif. Prenez l'exemple de la France, où depuis plus
de dix ans a été instituée une échelle de gravité,
tenue par les autorités gouvernemntales en charge de la sûreté
nucléaire, sur laquelle chaque incident ou accident survenu est enregistré.
Ils s'échelonnent du niveau 1, simple anomalie sans conséquence,
au niveau 7, correspondant à une catastrophe majeure de type Chernobyl.
Les résultats sont parlants. Aucun des évènements enregistrés
sur l'ensemble des centrales nucléaires d'EDF pendant la dernière
décennie n'a dépassé le niveau 2 de l'échelle, qui
correspond à un incident qualifié de mineur, n'affectant pas la
sûreté de l'installation. (Tableau I).
Tableau I - Fonctionnement
des centrales nucléaires françaises en dix ans (56 unités
en moyenne) - Nombre total d'événements enregistrés
sur l'échelle internationale de sûreté (de 1990 à
1999).
|
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Niveau
|
Définition
|
Nombre d'événements
|
7
|
Accident majeur
|
0
|
6
|
Accident grave
|
0
|
5
|
Accident avec risques hors site
|
0
|
4
|
Accident sans risques hors site
|
0
|
3
|
Incident grave
|
0
|
2
|
Incident
|
41
|
1
|
Anomalie
|
919
|
Cela ne signifie évidemment pas qu'un accident grave soit exclu. Ici comme ailleurs, il ne faut pas se bercer de l'illusion qu'un risque nul pourrait exister. Il n'empêche que le parc nucléaire français fonctionne depuis des années loin de toute situation dangereuse.
Radioactivité : il faut raison garder
La radioactivité est partout présente dans l'univers. Elle a toujours existé sur la terre, où elle était beaucoup plus intense dans le passé, et elle y fut l'un des principaux facteurs qui ont conditionné l'évolution des espèces vivantes. Nous vivons sans nous en rendre compte dans un environnement radioactif. Dans l'organisme de chacun d'entre nous se produisent en moyenne 8000 désintégrations radioactives par seconde.
La radioactivité supplémentaire à laquelle sont soumises les personnes qui vivent à côté d'une installation nucléaire en France. est largement inférieure au centième de la radioactivité naturelle ambiante, elle-même due à de multiples causes. La radioactivité naturelle est sujette à des variations considérables selon les endroits du globe. Il existe des régions, comme le Kérala en Inde, où son intensité est trente fois supérieure à ce qu'elle est en France, sans qu'on aît pu déceler dans les populations qui y vivent depuis des générations un excès de cancers.
Vous entendrez dire que tout supplément de radioactivité, si faible soit-il, est à proscrire car il est la source d'un cancer potentiel. L'Académie de Médecine française n'a cessé de s'élever contre de telles allégations. Elle a même contesté le bien fondé des règlements imposant une réduction supplémentaire des limites acceptables. En effet, dans toute cellule vivante sont constamment en oeuvre des mécanismes de réparation très efficaces, et il existe ainsi des effets de seuil. Les spécialistes de l'épidémiologie sont de plus en plus nombreux à estimer que l'effet des faibles doses d'irradiation est indiscernable, sinon inexistant.
Tout est une question de mesure. Si vous absorbez d'un coup cent comprimés d'aspirine, vous êtes sûr de vous tuer, mais si vous en prenez un ou deux, cela peut vous apporter le soulagement escompté. Et cela est vrai de la plupart des médicaments. Il serait stupide de prétendre que si cent personnes prennent chacune un comprimé d'aspirine, l'une d'entre elles en mourra. Cela montre à quel point la notion de dose collective est un non-sens. Elle a beau avoir été totalement récusée par les organismes internationaux de radioprotection, c'est en l'utilisant de façon simpliste que certains présentent régulièrement des évaluations du nombre supposé de victimes de Chernobyl qui sont dépourvues de tout fondement.
L'énergie nucléaire est propre
J'en viens à la propreté de l'énergie nucléaire. Sujet très sensible. Le problème du devenir des déchets radioactifs est celui qui préoccupe le plus l'opinion publique, à qui il importe de fournir tous les éléments d'information et d'appréciation nécessaires.
Déchets : les voies d'une gestion sûre
On entend souvent dire qu'il n'existe aujourd'hui aucune solution à ce problème. C'est tout à fait inexact. J'affirme au contraire qu'il existe des solutions satisfaisantes, ou pour mieux dire acceptables, dans la mesure où la gestion des déchets, quels qu'ils soient, est une servitude dont on aimerait pouvoir se passer. Ces solutions ont été développées grâce à un travail patient qui remonte aux tout débuts de l'énergie nucléaire, avec un soin et une rigueur dont pourrait avantageusement s'inspirer la gestion de nombreuses autres catégories de déchets. Les procédés qui ont été mis au point n'ont plus qu'à être validés et le cas échéant perfectionnés par des essais conduits dans des conditions représentatives in situ.
Je n'ai pas le temps de m'étendre ici en détail sur les caractéristiques techniques de la méthode développée en France pour le conditionnement et le stockage des produits de fission, les seuls véritables déchets hautement radioactifs qui résultent du fonctionnement des centrales nucléaires. En quelques mots, elle consiste à les séparer par voie chimique des autres constituants du combustible irradié, selon un principe de tri sélectif qui est à la base de la bonne gestion de tout déchet. Les produits de fission sont ensuite incorporés dans une matrice faite d'un verre d'une composition très élaborée résistant aux effets physico-chimiques les plus divers. Ces blocs de verre sont à leur tour enfermés dans de robustes conteneurs en acier destinés à être ultérieurement entreposés dans des couches géologiques profondes convenablement choisies.
La gestion des produits radioactifs nous oblige à prendre en considération des échelles de temps qui nous étaient jusqu'ici peu familières. Pour que la radioactivité des produits de fission décroisse jusqu'à un niveau ne posant plus problème, plusieurs milliers d'années sont nécessaires, mais c'est une durée sur laquelle la parfaite tenue des enceintes qui les contiennent peut être garantie. Notez bien qu'une longue vie radioactive signifie ipso facto un taux de radioactivité faible. L'uranium, le thorium, le potassium, etc*présentent des exemples de décroissance qui s'étendent sur des milliards d'années, ce qui explique qu'ils soient toujours présents dans la croûte terrestre. Les déchets industriels ordinaires comprennent de nombreux métaux ou produits chimiques très toxiques, et qui le demeureront éternellement car ils ne se désintègrent pas.
Le volume des déchets radioactifs à traiter représente
très peu de choses en comparaison de tous ceux qu'engendrent les activités
industrielles. Pour en avoir une idée, voir la figure ci-dessous.
Production annuelle de déchets
dans la communauté européenne
(source : CEE -1993)
Pour terminer, il importe de rappeler que l'énergie nucléaire ne donne lieu à aucune émission de gaz à effet de serre. Prenez le cas de la France, dont la production d'électricité est assurée, pour 76% par des centrales nucléaires et pour 15% par cette remarquable énergie renouvelable qu'est l'hydraulique. Il en résulte que la quantité de CO2 dégagé par KWh produit est dix fois inférieure à ce qu'elle est dans certains autres pays européens, qui ont essentiellemnt recours à des centrales thermiques même s'ils se prétendent comme le Danemark à la pointe du combat pour la protection de l'environnement. Si la France n'utilisait pas du tout d'énergie nucléaire, ses émissions totales de CO2 (en y comprenant celles dues aux usages domestiques et industriels aux transports, etc*) seraient le double de ce qu'elles sont.
Une première considération qui me semble inéluctable est que les besoins mondiaux en énergie vont continuer à croître énormément. Cela résulte d'abord de l'augmentation sans précédent de la population de la planète, qui constitue le phénomène le plus remarquable des cent ans passés.
Du fait de cette croissance et de l'élévation du niveau de vie,
la demande mondiale en énergie a augmenté à un rythme encore
beaucoup plus rapide Au cours du vingtième siècle elle a été
multipliée par un facteur voisin de huit (voir figure ci-dessous).
Consommation mondiale annuelle d'énergie
primaire
Le fait sur lequel je tiens à insister tout spécialement
est l'extrême disparité des consommations énergétiques
selon les zônes géographiques. Si vous deviez vous souvenir d'une
seule des figures que je vous montre, c'est celle-ci que je vous recommande
de garder en mémoire.
Consommation d'énergie primaire
et d'électricité
par tête en différentes parties du monde
Comment imaginer que notre petite planète puisse vivre en harmonie et en paix aussi longtemps que des écarts aussi choquants existeront entre nations, en ce qui concerne la satisfaction des besoins élémentaires que sont l'alimentation, l'eau potable, le logement, les soins médicaux, l'éducation, etc.
La mise à disposition à brève échéance de considérables quantités d'énergie aux pays en voie de développement, où se trouve l'essentiel de la population mondiale, est d'abord une condition essentielle de leur bien-être, de l'élévation de leur niveau de vie, mais c'est aussi une contribution indispensable à la paix du monde.
La conclusion de ce qui précède me semble s'imposer. Sauf catastrophe majeure à l'échelle de la planète, telle qu'une guerre mondiale ou une épidémie dévastatrice, l'hypothèse la plus plausible est que d'ici le milieu de ce siècle la consommation énergétique mondiale aura au moins doublé.
Utiliser toutes les énergies disponibles
Mon deuxième point est que, pour faire face à des besoins aussi énormes, il ne sera pas de trop de recourir à toutes les énergies disponibles, à partir du moment où elles sont suffisamment économiques, sûres et propres. A mes yeux elles sont beaucoup plus complémentaires que concurrentes, et il ne convient pas de les opposer les unes aux autres. Chacune a ses avantages et ses inconvénients et peut se trouver la mieux adaptée en fonction des circonstances locales.
En tout cas il est complètement déraisonnable, irresponsable et démagogique de jeter l'anathème sur l'une d'elle, à savoir le nucléaire, en s'appuyant sur des dogmes a priori qui ne résistent pas à une analyse sérieuse et honnête, et en ignorant ou en feignant d'ignorer que son abandon entraînerait des conséquences dont on refuse de prendre la mesure.
Pour assurer leur décollage économique, c'est dans les combustibles fossiles que les pays en voie de développement trouveront la source d'énergie la plus abondante et la mieux à leur portée. Limitons-nous aux deux géants que sont la Chine et l'Inde, qui représentent dès maintenant à eux deux près de la moitié de la population mondiale. Ils disposent l'un et l'autre de vastes gisements de charbon, et c'est là qu'ils trouveront l'essentiel des ressources énergétiques indispensables à la satisfaction de leurs immenses besoins.
Ne serait-ce que de leur fait, l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre va aller en s'accélérant à l'échelle mondiale. Mais ils n'ont guère le choix, et il est illusoire de croire que le souci de protéger l'environnement pourrait les retenir de puiser largement dans leurs réserves charbonnières. Les pays développés, qui sont largement les principaux émetteurs de CO2, seraient mal venus de leur en faire le grief. Le refus actuel des Etats-Unis de ratifier le protocole de Kyoto, au motif que les conséquences climatiques de ces émissions ne sont pas certaines, ne peut que leur ôter le moindre scrupule, à supposer qu'ils en aient.
Dans ces conditions, quelle peut-être l'issue du problème posé par une augmentation massive des émissions de gaz à effet de serre, s'il apparaît vraiment qu'il prend des proportions insoutenables? Les pays déjà industrialisés, et l'Europe pour commencer, se trouveront alors confrontés à des réalités qui mettront directement en jeu leurs responsablilités.
Mon opinion est qu'ils seraient bien inspirés de laisser aux pays en voie de développement un accès préférentiel aux combustibles fossiles, dont les ressources sont loin d'être illimitées, et de recourir au maximum pour eux-mêmes à l'énergie nucléaire, qu'ils sont capables mieux que quiconque d'exploiter.
Ces propos n'ont rien d'original. Ce fut très exactement le message solennel délivré par le Président François Mitterrand dans son allocution à la séance inaugurale du Conseil Mondial de l'Energie qui se tint à Cannes en septembre 1986. Sans écho jusqu'ici. Cette orientation, qui porterait la marque d'une véritable solidarité à l'éhelle planétaire, prévaudra-t-elle demain? Rien n'est moins sûr, tant les égoïsmes nationaux sont puissants.
Pour une reprise des programmes nucléaires
Tant sur la scène française qu'européenne, j'espère que la sagesse l'emportera. J'ai confiance dans le bon sens de mes concitoyens, pourtant soumis en permanence à une propagande antinucléaire tout à fait mensongère. Je ne suis pas éloigné de penser que l'opinion publique est au fond moins hostile au nucléaire - comme d'ailleurs à la construction européenne - que ne le croient beaucoup d'hommes politiques. Il est fort probable que les dures réalités de l'économie et de l'environnement s'imposeront bientôt à tous avec une telle force qu'une prise de conscience générale des problémes posés et des solutions possibles bouleversera et renversera les tendances antinucléaires actuelles.
Après vingt-cinq ans d'immobilisme, une reprise de commandes de centrales nucléaires aux Etats-Unis est maintenant entrée dans l'ordre des choses possibles, et il n'est pas exclu qu'elle se produise à une échéance de quelques années. En ce cas, tout laisse penser qu'il ne s'agira pas d'un phénomène ponctuel, mais qu'on assistera à un mouvement ample et durable.
Un redémarrage du nucléaire outre-Atlantique ne manquerait pas d'avoir un large écho dans de nombreux pays européens, notamment chez certains que l'on peut cataloguer aujourd'hui parmi les plus opposés au nucléaire. Pour une série de raisons structurelles, d'ordre économique, industriel, réglementaire, etc* il est à penser qu'une reprise des programmes nucléaires en Europe se fera dans un cadre beaucoup plus européen que ce ne fut le cas précédemment. Cette situation ne pourra que contribuer à faciliter et à hâter le processus conduisant à une véritable et nécessaire politique de l'énergie au niveau de l'Union Européenne.
Ce texte est extrait de la Revue Générale Nucléaire
N°1/2002 Retour sommaire